Oui. Trois ans. Pourtant, j’ai l’impression que c’était hier.
Je n’ai pas oublié ton corps inerte. Bouche ouverte. Comme si tu dormais. Ronflais.
Mais tu ne dormais pas.
Tu n’étais tout simplement plus là, dans ce corps.
Franchement! Ils auraient pu fermer tes mâchoires! Quels cons!
Je suis là, avec Joce. On doit identifier ton corps.
La bouche ouverte. Quels cons!
Puis, pendant un court instant, là… juste là…, j’ai voulu croire, encore un instant, que tu ronflais. Au diable les cons!
Pendant ces courts instants, tu étais toujours là, avec Joce et moi.
Et là, je t’ai récité ce poème, très simple, trop, qui était sorti de moi — je ne savais pas à ce moment — au moment même où tu disais à Joce que tu avais peur, mais qu’il t’en faudrait peu pour prendre la main qu’on te tendait. Au moment même où Joce te disait : vas-y.
Je m’en suis voulu de ne pas être là, ce matin-là. C’est moi qui devais être là, tôt. Mais je ne pouvais pas. Comme si je savais.
M’en veux-tu? Dis, m’en veux-tu? Comme si je t’ai abandonné, seul devant la mort que tu as dû franchir.
Je n’ai pas pu. Pardon. Pardon. Je n’ai pas pu. Je n’en pouvais plus. Comprends-tu? Me pardonnes-tu? Si tu savais combien je regrette. Oh! combien je regrette!
Et là, ton corps encore chaud, la bouche ouverte, j’ai voulu ne pas penser, oublier t’avoir laissé seul affronter l’autre côté.
Alors, je t’ai raconté, ce que j’avais presque rêvé, ce 9 février 2008… et que j’ai intitulé : Dernier pas
Le tic tac de mon cœur
S’effiloche comme une fleur
Un pétale à la fois
Il m’aime Il ne m’aime pas
Il m’aime Il ne m’aime pas
Comme une marguerite qu’on effeuille
Il m’aime Il ne m’aime pas
Combien reste-t-il de pas
Il m’aime Il ne m’aime pas
Pourquoi m’a-t-Il fait ça
Il m’aime Il ne m’aime pas
Encore un pas un autre pas
Il m’aime Il ne m’aime pas
Je sens mon souffle qui s’en va
Il m’aime Il ne m’aime pas
Mon corps entier se débat
Il m’aime Il ne m’aime pas
Encore un pas un autre pas
Il m’aime Il ne m’aime pas
Maintenant je le vois
Il m’aime Il ne m’aime pas
Mon cœur s’emplit de joie
Il m’aime Il ne m’aime pas
Je cours les derniers pas
Il m’aime Il ne m’aime pas
Je le vois Il est là
Il m’aime Il ne m’aime pas
M’extirpant le tout dernier pas
Il m’aime Il ne m’aime pas
Il m’aime
Il m’aime
Je cours dans ses bras
Il m’aime et je le crois
Il me sert dans ses bras
Il m’aime et je le crois
Mon âme explose de joie
Il m’aime et je le crois
Je le crois au plus profond de moi
Papa, depuis ce jour-là, tu as toujours fait partie de moi. Et si, ce matin, je n’ai pas réalisé que c’était LE jour, c’est simplement que je n’avais pas réalisé qu’on était le 10 février.
Parce que, papa, pour moi, tu n’as jamais été aussi présent dans ma vie que depuis que tu t’es envolé de l’autre côté.
Je sais que tu m’entends. J’ose espérer que tu comprends.
Papa, jamais je ne t’oublierai de mes sens. Non. Jamais.
Bisous
Ta, pour toujours, petite fille, Ginette
Chère cousine,
Je pense que mon père savait que je n’en pouvais plus de le voir, ou ma mère, mourir chaque jour un peu plus, après avoir été présente, souvent chaque jour, jamais moins qu’une fois par semaine, pendant 10 longues années, encore aujourd’hui, avec ma mère.
Je pense qu’il le savait que j’avais si terriblement peur de le voir partir, car même si j’avais été à ses côtés, il serait parti sans moi. Il a été conduit en salle de trauma où il a succombé.
Alors je pense qu’il savait.
Quand je regarde ces 10 années à m’occuper de mes parents, à faire le taxi par ma faute parce que j’ai fait retirer le permis de conduire de mon père de peur qu’il cause un accident et tue quelqu’un, j’ai agi en fonction d’eux et non de moi, pour le meilleur pour eux, malgré le malheur pour moi, ben je n’ai pas d’autre remord sauf cette dernière fois.
Et puis je lui ai offert ce départ cérémonieux, respectueux de son existence, non je n’ai qu’un seul picotement au coeur de cette longue bataille de 10 ans.
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Chère cousine, ton texte m’a vraiment touché. Dans quelque semaines a peine se sera a mon tour de marquer le troisième anniversaire du décès de ma mère. Beaucoup d’émotions refont surface, et je revois ce corps frêle, vulnérable, perdu au fond d’un lit d’hôpital. Maman a eu la chance d’avoir sa famille auprès d’elle lorsque a rendu son dernier souffle. Je ne crois pas que j’aurais pu accepter son départ sans avoir été témoin de ses derniers instants. Je me souviens avoir pris sa main, et y avoir posé une tonne de baisers, tout en me rappelant que celle-ci m’avait bercé, soigné, rassuré, réchauffé, encouragé. Il y a tout un monde dans les mains d’une mère. Jusqu’a la fin de mes jours elle me manquera cruellement, mais j’ose croire que du fond du ciel ou elle se trouve maintenant, elle viendra me visiter de temps en temps dans les moments ou j’en aurai le plus besoin.
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